• Le Nom de la rose ~ Chapitre 1

    Le jeune homme traça une dernière courbe à la poudre dorée puis, posant son pinceau dans le pot prévu à cet effet, il recula de quelques pas pour admirer son ½uvre. Peu à peu les autres moines présents dans la salle se rassemblèrent autour de lui et se mirent à le complimenter sur la qualité de son travail.
    Kai Uke, bientôt vingt-sept ans, jeune moine enlumineur de l'abbaye de la rose, probablement le plus doué de sa génération. Un grand sourire satisfait s'affichait sur sa mine réjouie et ses yeux, fatigués par tant d'heures à travailler à la seule lueur de la chandelle, brillaient d'un éclat nouveau.
    Deux semaines qu'il travaillait sur la première page de ce manuscrit. Deux ! Maintenant il n'avait plus qu'à attendre le lendemain pour que l'enluminure est finie de sécher.
    Le châtain rangea les petits flacons de couleurs et l'encre noire dans un tiroir de son écritoire en bois.
    Puis, enfilant un long manteau par dessus sa soutane sombre, il traversa à grandes enjambées la salle d'écriture, longeant les tables de travail où les autres moines recopiaient bibles et psautiers avec soin et ardeur.
    Une fois sortis dans le couloir, il passa devant la porte de la grande bibliothèque de l'abbaye qui s'ouvrit laissant apparaître de l'obscurité de l'antre aux livres, Uruha l'assistant bibliothécaire, seule personne à pouvoir entrer dans la bibliothèque majestueuse avec son maître.
    Le nouvel arrivant était grand, avait des cheveux blonds, de grands yeux bruns en amande et des lèvres rouge et charnues.
    Les deux hommes se saluèrent puis le blond engagea la conversation.

    Uruha- Et bien Kai, tu ne travailles pas ?

    Uruha le tutoyait depuis le premier jour de leur rencontre. Kai, lui, n'avait jamais pu se résoudre à parler si familièrement au blond. Peut être parce qu'il se sentait inférieur à lui ? Oui, c'était ça. Il se sentait inférieur. Lui n'était qu'un pauvre petit moine enlumineur qui passait ses journées courbé sur sa table de travail à élaborer de délicates illustrations à la gloire de Dieu. Uruha était bien plus que ça. Il était un des deux gardiens de la bibliothèque divine. Le châtain l'imaginait bien volontiers et avec envie arpenter d'un pas magistral les allées croulantes sous les tonnes de livres qui dormaient là, recouverts par la poussière qui s'était accumulée des siècles durant, attendant que quelqu'un les feuillètes à nouveau.


    Kai- Non mon frère, je viens de finir la première page et je dois laisser sécher. ^^
    Uruha- Encore un chef-d'oeuvre je paris...

    Il avait prononcé ces derniers mots d'une voix douce, le regard perdu dans le vague, rêveur.
    Kai rougit sous le compliment du blond et répondit humblement :

    Kai- Je vous en prie, rien n'est assez beau pour Dieu... [Ah le con ! Il ferait mieux de peindre pour moi U.U]

    Uruha, un sourire éclairant son visage, se pencha légèrement et déposa un baiser sur les lèvres du jeune moine enlumineur. Un baiser fraternel entre frères de religion. Du moins c'est ce que croyait Kai car, pour le blond, ce baiser était de toute autre nature.

    Uruha- Je vais aller jeter un coup d'oeil à ton travail.

    Il se retourna et partit dans la direction de la salle d'écriture. Kai le rattrapa en courant.


    Kai- Dites, puis-je vous poser une question ?

    Le moine assistant s'arrêta et le regarda avec douceur, il acquiesça.


    Kai- Je me demandais, pourquoi la bibliothèque n'est-elle pas ouverte à tous les moines de l'abbaye ?

    Le grand blond lui répondit simplement :

    Uruha- Je n'en sais rien, c'est la volonté du père abbé.

    Il adressa un dernier sourire à Kai et continua son chemin, laissant le châtain l'air songeur.
    En réalité, Uruha le savais, lui, pourquoi la bibliothèque était jalousement gardée à l'abri des regards indiscrets. Il avait vu. Des livres, contredisant les paroles ambitieuses que la sainte église de l'époque, attirée plus par l'argent que l'amour de Dieu, voulait faire avaler aux chrétiens naïfs. Uruha en avait lu des centaines. A dire vrai, il ne faisait que ça : lire. Lire et penser à Kai.
    Il arriva enfin devant la salle et y pénétra. Il s'avança prestement jusqu'à l'écritoire du jeune enlumineur, saluant les moines scribes au passage.
    Son c½ur fit un bond dans sa poitrine à la vue du travail de Kai. L'enluminure était d'une beauté à couper le souffle. Des entrelacs de rinceaux végétal délicatement tracés s'épanouissaient autour du texte, ainsi que des myriades de petites fleurs éblouissantes de couleurs dont les contours étaient repassés à la poudre d'or. Des minuscules libellules mauves et violettes voletaient tout autour de la composition florale, répandant de la poudre d'argent derrières elles. Ce n'était pas le Paradis, non car ce n'était pas un paysage. Mais un aperçu du Paradis. Une infime partie de ce monde.

    ???- Il a du talent, hein ?

    Uruha se retourna et vit le père abbé qui admirait lui aussi l'enluminure de la page.

    Uruha- Oui et même plus...

    Tout en Kai fascinait Uruha. Son art, son caractère doux, timide et poli, son regard, son sourire, la forme de ses hanches. Il aimait Kai plus qu'un frère, il l'aimait d'amour. D'un amour contre nature, d'un amour interdit... Mais il n'y pouvait rien, il n'avait pas choisit de tomber amoureux... Surtout d'un homme.
    Après avoir jeté un dernier coup d'½il au chef-d'½uvre, il salua l'abbé et les autres moines, sortis de la pièce.
    Puis, la tête pleine de merveilles, il décida d'aller prendre un bol d'air dans le verger.
    Une fois dehors, il poussa un soupir et s'assit sur un banc de pierre. Le paysage n'était pas très réjouissant. Les arbres avaient tombés leurs feuilles à l'approche de l'hiver et les corbeaux, oiseaux de mauvais augures, croissaient lugubrement sur leurs branches nues. De plus il faisait froid. Uruha frissonna et décida de rentrer à l'intérieur. Mais au moment où il allait passer la porte il entendit des pas et des voix sur la terrasse surplombant le verger. Le blond se plaqua contre un mur, pour qu'on ne le voit pas.

    Lorsqu'Uruha l'avait laissé pour se diriger vers la salle d'écriture, Kai était resté un moment devant la porte de la bibliothèque, songeur. Il aurait tellement voulu y entrer...
    Il secoua la tête pour chasser ces pensées puis partit en direction des cuisines pour y retrouver son ami Ruki.
    Dès qu'il y arriva, les cuisiniers l'accueillirent avec chaleur et lui proposèrent toutes sortes de gourmandises que Kai accepta bien volontiers en se rappelant qu'il n'avait pas mangé depuis la veille au soir.
    Une dame un peu grassouillette serra Kai entre ses gros bras maternels et lui ébouriffa affectueusement les cheveux.

    Dame- Kai ça fait plaisir de te revoir ! Ne bouges pas je vais te chercher mon idiot de fils ! Il doit encore être en train de pioncer sur le sac à farine au lieu de travailler ! Le portrait craché de son père ! è_é

    Elle disparut dans une pièce adjacente aux cuisines et revint quelques secondes plus tard avec un Ruki à l'air encore tout endormi et couvert de farine...
    Dès que le petit blond aperçu le jeune enlumineur il se jeta dans ses bras dans un nuage de poussière blanche. La mère, furieuse, prit son fils par le col de sa veste et lui cria tandis que le petit blond se recroquevillait sur lui même :


    Dame- Ruki espèce d'idiot regarde ce que tu as fait ! Tu as mis de la farine partout sur Kai ! Tu me fais honte ! Excuses-toi maintenant !

    Ruki, les mains croisées derrière son dos, pris l'air le plus désolé possible.


    Ruki- Je ne suis pas désolé du tout de t'avoir serré dans mes bras et couvert de farine, à dire vrai j'étais en manque de toi et même une vache enragée *regarde sa mère du coin de l'oeil* n'aurait pu m'empêcher de te sauter dessus !
    Dame- C'EST QUOI CES EXCUSES MINABLES ?

    Kai éclata de rire et assura la mère que ce n'était absolument pas grave. La mère haussa les épaules et retourna aux fourneaux tandis que Ruki, profitant de la nouvelle inattention de sa mère, se blottit à nouveau dans les bras de son meilleur ami (et lui mit encore plus de farine dessus).
    Tout deux éclatèrent de rire et sortirent des cuisines pour aller vers un endroit plus tranquille.

    Ruki- Alors tu as finit ta nouvelle enluminure ?
    Kai- Tout à fait ^^

    Le petit blond sauta de joie :

    Ruki- Chouette on pourra se voir plus souvent >w<
    Kai- Malheureusement non, je dois reprendre demain...

    Une moue boudeuse se dessina sur le visage rond de l'apprenti cuisinier. Le châtain lui adressa un petit sourire contrit : Lui aussi aimerait pouvoir consacrer plus de temps à son ami, mais cela lui était totalement impossible !
    Ils marchèrent le long des remparts de l'abbaye en silence... Silence que rompit Ruki quand il dit :

    Ruki- Je me suis toujours demandé ce qu'il y a sous les soutanes des moines...

    Kai accéléra le pas, comme prit d'une certaine intuition. Il rougit lorsqu'il sentit se soulever sa soutane qu'il rabaissa d'un geste brusque et pudique avant de se tourner vers Ruki.

    Kai- EHHHH MAIS QU'EST CE QUI TE PRENDS ??? >////<
    Ruki- Mais laisses moi voir s'il-te-plait Kai !

    Le châtain lui répondit par un "NON" catégorique, mais le petit blond ne perdit pas espoir.

    Ruki- Si tu me montres je te montre ce qu'il y a dans mon pantalon =3
    Kai- Crèves. Ça ne m'intéresses pas -_-'

    Ruki le regarda avec consternation.

    Ruki- Pourtant les femmes du village d'en bas, elles, se crèveraient les yeux rien que pour voir ne serait-ce qu'un bout de mes mollets...
    Kai- J'AI L'AIR D'UNE FEMME ? ! Et puis si elles se crèvent les yeux elles font comment pour voir après ?
    Ruki- Mmmmm... *réfléchit intensément*
    Kai- Pourquoi tu mets autant de temps pour réfléchir ? è_é Et qu'est-ce que tu vas faire dans le village d'en bas, je peux savoir ?
    Ruki- Bah, j'm'ennuis sans toi alors je vais faire mumuse de temps à autre avec quelques jeunes et jolies demoiselles... Tu devrais venir avec moi, ça te ferai passer du bon temps, tu travailles trop je trouves... U_U

    Ils atteignaient enfin le bout du rempart et, descendant prudemment des escaliers escarpés, ils se dirigèrent vers la terrasse du verger, où la vue sur les chaînes de montagnes alentours était imprenable...

    Kai- Non merci, je ne m'amuse pas de ce genre de chose ! Par contre toi tu feras moins le malin quand toutes les filles avec qui tu auras couché viendront te voir avec dans leurs bras les enfants que tu leur auras fait !

    Le Don Juan s'arrêta net en entendant les paroles de son ami.


    Ruki- Oh non pitié, je déteste les gosses !
    Kai- Tu te déteste toi-même ?
    Ruki- HA HA HA... Très drôle ! Je crois que je vais devenir homosexuel, comme ça tu n'auras qu'à venir me supplier de t'épouser quand tu seras enceinte *O*

    Les deux amis s'accoudaient à présent sur la rambarde de la petite terrasse. Kai se tourna vers Ruki et lui fit la grimace.

    Kai- A parce que tu crois que je voudrais de toi ? >w< Et puis les relations entre hommes sont interdites !
    Ruki- Ben alors ? Ma mère m'interdit bien de piquer de la nourriture dans le garde-manger mais ça ne m'a jamais empêché de le faire... >w< Et puis au moins je ne serais pas le seul à être homosexuel dans l'abbaye !

    Kai fronça les sourcils.

    Kai- Pourquoi tu dis ça ?

    Un sourire éblouissant naquit sur les lèvres du petit blond.

    Ruki- Ne me dis pas que tu n'avais pas remarqué !
    Kai- Mais remarquer quoi ? !
    Ruki- Ben, les sentiments qu'Uruha Takeshima nourrit envers toi !

    Le châtain écarquilla les yeux et regarda son ami comme s'il était devenu fou.


    Kai- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?
    Ruki- Tout. Sa voix quand il te parle, ses regards en biais lorsqu'il nous croise dans un couloir, son attitude envers toi et puis ses pseudo-baisers fraternel !
    Kai- Mais ça ne veut rien dire ! De plus, des baisers fraternel j'en reçois des tonnes tous les jours et pas que d'Uruha !

    Ruki se détourna, rouge de colère. Kai prit son ami entre ses bras.

    Kai- Ruki, pourquoi boudes-tu ?

    Le petit blond repoussa Kai et alla s'accouder à l'autre bout de la terrasse.


    Ruki- A moi, tu ne m'as jamais fais de baisers fraternel...

    Le jeune moine se rapprocha du blond.

    Kai- Mais c'est parce que tu n'es pas un moine ou un membre du clergé...

    Le petit cuisinier se retourna et enfouit sa tête au creux de l'épaule de Kai.

    Ruki- Oui mais on est comme des frères, on a été élevé par la même mère, alors
    même si nous ne sommes pas frères de religion nous sommes tout de même
    frères de lait !


    Kai soupira et souleva doucement le menton de Ruki. Il déposa ses lèvres contre celles du plus jeune qui rougit de surprise.

    Kai- EHHHHH MAIS METS PAS LA LANGUE IDIOT >/////<
    Ruki- Oups, pardon c'est l'habitude ^^'

    Tous deux s'écroulèrent de rire. Le seul qui ne riait pas, c'était Uruha qui, plaqué contre un mur, en dessous de la terrasse, avait suivit toute la conversation. Ainsi, il avait un rival... Car à ne pas en douter, le petit cuisinier crevait d'amour pour le châtain. Le grand blond serra les poings. Kai serait à lui et lui seul.

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